Nikky Lee, le kayak-polo un art de vivre

Nikky Lee, le kayak-polo un art de vivre

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Nikky Lee, 24 ans, est la seule représentante féminine de kayak-polo à jouer au niveau international dans le Western Australia. En 2012 elle monte sur le podium lors des championnats du monde de Poznan (Pologne) pour se voir récompenser d’une médaille de bronze. Nikky est le parfait exemple du proverbe : « ne jugez pas un livre à sa couverture ». Grande et mince elle ressemblerait plus à une gymnaste qu’à une joueuse de kayak-polo! Son rôle dans l’équipe féminine australienne ? Diviser la ligne des attaquantes, avorter les débuts d’offensive, bref mettre la zizanie chez les adversaires. Extrait d’une rencontre étonnante.

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Nikky Lee (au centre) arborant un large sourire, savoure sa médaille de bronze aux côtés de ses coéquipières lors des championnats du monde de Poznan en 2012. (Crédit photo: Nikky Lee)

Kayak-polo.info : Qu’aimez-vous dans le Kayak-Polo?
Nikky  Lee : Je pense que j’aime les différents aspects réunis dans ce sport. Vous devez savoir comment pagayer, manœuvrer votre kayak, être à l’aise et adroit avec la balle, apprendre les tactiques…  Avoir déjà joué à des sports comme le basket ou le foot, ça peut vraiment aider quand on démarre dans le kayak-polo.

KPI : Comment avez-vous été introduite dans ce sport?
NL : Je faisais du Taekwondo avant, mais j’ai eu des problèmes de ligaments aux genoux. J’ai donc dû arrêter. Le souci c’est qu’avec ce genre de blessure il y a pas mal de sport que je ne peux plus pratiquer… Au même moment où j’ai su pour mes genoux, mon cousin venait juste de découvrir le kayak-polo. Il a vite introduit mon père et mon frère. Et après ça a été mon tour ! (Rire) Ils m’ont convaincu de tenter un essai. C’était parfait, la position assise me convenait, pas besoin de mes genoux. Je crois que j’ai tout de suite adoré!

KPI : Comment s’est passé votre premier entraînement?
NL : Je connaissais déjà un peu les bases pour bouger et pagayer. La balle c’est autre chose! Le lancer c’était vraiment pas ça ! (Rire) J’ai beaucoup travaillé là-dessus.

KPI : Depuis combien de temps jouez-vous avec l’équipe féminine australienne?
NL : Officiellement depuis 2012 mais je les ai rencontré avant… J’ai été invitée à rejoindre l’équipe  pour une semaine d’entraînement en 2009. Je me souviens j’ai été frappée par le talent et le niveau technique des filles! C’était très impressionnant.

KPI : Quel  est le point fort et le point faible de l’équipe féminine Australienne?
NL : Mmh… Je pense que le point faible est notre manque d’expérience en compétition à l’étranger. L’Australie est tellement loin de l’Europe ! Je dirais par contre que notre point fort c’est le lien que nous avons entre nous.  Depuis 2012, nos relations sont au top. Chaque fille a sa spécialité et sa place dans l’équipe. C’est sûr que depuis le départ de Sarah (ndlr: Sarah Heard a été capitaine de l’équipe de kayak polo pendant des années, elle s’est retirée de la compétition internationale en 2013) on va avoir besoin d’un ajustement  avec le prochain capitaine… qui ne sera définitivement pas moi ! (Rire) Je ne veux pas de ces responsabilités. Je suis contente de faire mon job sur l’eau, ce qui est bien suffisant!

KPI : Vous et les autres joueuses de l’équipe n’allez pas participer au prochain championnat du monde de kayak-polo en septembre à Thury-Harcourt en France (Ndlr: du 24 au 28 Septembre), pourquoi?
NL : Ah… oui… C’est un peu difficile. Le problème majeur c’est le coût pour aller en France.  Certaines joueuses ne peuvent pas assurer une telle dépense financière. Elles ont des enfants, envisagent d’acheter une maison et de devenir propriétaire. Sans parler du fait que nous ne sommes pas assez nombreuses. Nous avons besoin de joueuses expérimentées. En fait actuellement je pense qu’on fait face à un manque de connaissance et de maîtrise du jeu.

KPI : Pensez-vous que si vous participiez au championnat du monde en septembre en France sans Sarah, vous auriez une chance de l’emporter et de monter sur le podium?
NL :  Non… Non je ne pense pas. Sans Sarah on finirait probablement dans le top 8 au lieu du top 5. Je suis évidemment déçue que nous ne puissions pas venir, mais pour être honnête nos chances de gagner sont vraiment trop minces.

KPI : Cela n’a pas toujours été le cas (*1) en 2012 pour le championnat du monde à Poznan vous et votre équipe avez décroché une médaille. Quelles ont été vos impressions ce jour-là ?
NL : Oh c’était fantastique. Je veux dire que je n’oublierai jamais ce jour-là. Je pense que j’ai réalisé ce qui se passait quand nous étions toutes sur le podium et que le juge m’a mis la médaille de bronze autour du cou. Les photos que nous avons prises n’ont pas de prix ! Les expressions sur nos visages sont juste tellement parlantes. C’est de loin l’un de mes plus beau succès. Je n’aurai probablement jamais obtenu de médaille comme ça en Taekwondo. (Rire).

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Nikky Lee (à droite) en pleine action lors des jeux de Poznan. (Crédit photo: Nikky Lee)

KPI : Que pensez-vous de l’équipe masculine de kayak-polo menée par le capitaine Craig Hutchinson?
NL : En 2012 ils ont gagné les play-off. Ils ont perdu d’un point contre les Français. Ils ont fini dans le top 5, presque le top 3. Cette fois je pense qu’ils ont de bonnes chances de l’emporter et de décrocher une médaille. Si ils doivent être amenés à jouer à nouveau contre la France, ce sera un match super intéressant à regarder. Ils ont probablement une petite revanche à prendre. (Rire). Mais bon au kayak-polo ce qui se passe sur l’eau reste sur l’eau.

KPI : Les femmes ne sont toujours pas très bien représentées dans ce sport (*2), pensez-vous que cela va changer?
NL : Depuis que j’ai commencé en 2006,  j’ai vu le nombre de joueuses augmenter spécialement en 2009 il y a eu une grosse vague promotionnelle auprès du public féminin. Maintenant ça a ralentit même si nous attirons toujours des joueuses chaque année. Je pense que le kayak-polo a besoin d’encore un peu de temps pour être  reconnu en Australie (Ndlr: le kayak-polo a officiellement débuté dans le cadre de championnats en 1994). Je suis sûre que d’ici cinq ans on comptera presque une centaine de joueuses.

KPI : Comment vous organisez-vous entre votre emploi à temps plein et vos entraînements?
NL : Quand j’étais à la faculté ça allait. C’était assez facile d’avoir du temps libre. J’ai été diplômée en 2010 et j’ai décidé de partir pour huit mois en entraînement intensif à Adélaïde. C’était cool, presque toutes mes journées étaient dédiées au kayak-polo. Après ça, je suis revenue sur Perth pour trouver du travail. J’ai occupé un poste d’agent administratif pendant quelques mois. J’ai détesté.  En 2012 j’ai eu ce poste à l’université comme chargée de communication. J’adore ce job. Mon employeur est plutôt flexible et compréhensif. Il sait que j’ai des obligations avec le kayak-polo (entraînements, voyages pour les compétitions). Mais c’est vrai qu’avec un temps plein ce n’est pas facile. Et puis tout le monde ne peut pas avoir un patron compréhensif !

KPI : En parlant d’entraînement, vous êtes la seule femme au niveau international en kayak-polo dans le Western Australia. Cela doit être difficile de se motiver quand vous êtes seule. Comment gérez-vous la situation?
NL : Ah, ah (Rire) Oui c’est très difficile mais quand vous êtes passionnée, vous faite avec… En 2010 et 2011 je m’entrainais avec une amie, c’était génial mais finalement elle s’est orientée vers la course en ligne (*3). J’ai un jour d’entraînement par semaine avec les membres de mon club (Perth Canoe Polo Club).  Vous savez, même si je ne suis pas avec des gens du même niveau que moi c’est toujours bien. Cela me maintient en forme, ce qui est essentiel.  Donc habituellement quand je suis à la piscine, je me focalise sur la technique et les tactiques. En rivière, je me concentre sur le physique et le fitness.

KPI : Cela ne vous incite pas à déménager pour Adélaïde, Melbourne ou Sydney afin de rejoindre les membres de votre équipe?
NL : Oh oui… Ce serait super et beaucoup plus facile pour moi. (Rire). Mais je ne suis pas sûre de trouver le même emploi que j’occupe actuellement. C’est dur, le marché du travail  n’est pas bon surtout dans ma branche.

KPI : Vous avez mentionné un peu plus tôt que le kayak-polo vous revenait cher. Cela signifie t-il que vous devez tout prendre en charge : équipement (4*), billets d’avion, logements, etc. ?
NL : Oui… pratiquement. La Fédération Australienne de Canoë ne nous aide pas. Ils investissent dans la course en ligne, la descente ou le slalom. Donc oui pour chaque compétition j’achète moi même le billet. Je me suis acheté un nouveau bateau il y a trois ans… En général on essaie de s’arranger pour le logement quand les compétitions sont en Australie on dort  chez les unes et les autres entre Adélaïde, Melbourne ou Sydney,  ça évite de payer une chambre d’hôtel.
Mais bon, heureusement on n’est pas toujours toute seule. En 2010 et 2012 l’équipe d’Australie a bénéficié d’un sponsor de la part de la ville de Saint-Omer en Normandie. Ils nous ont logés, nourris et laissés plein accès à leur club de kayak-polo pour s’entrainer en vue des championnats de Poznan et de Milan. J’ai aussi bénéficié d’une donation de la part de mon club pour contribuer à l’achat de mon billet d’avion pour Poznan.
Mais à part cela… rien, aucun support. Je voudrais bien épargner un peu d’argent pour me payer des vacances et faire des projets mais je ne peux pas. Toutes mes économies vont pour le kayak-polo. J’ai eu de la chance l’an dernier j’ai reçu pas mal de bénéfices sur mes taxes, je me suis payé un peu de vacances, c’était bien ! (Rire)

KPI : Le kayak-polo n’est pas aussi populaire que peut l’être le Cricket, le Rugby ou le Footy (Ndlr: football australien, sorte de rugby à 18), comment expliquez-vous cela?
NL : Mmh…Il y  a plusieurs raisons à cela je suppose. Euh… la première est peut-être le fait que les enfants en Australie ne sont pas exposés à ce sport. Par exemple en Nouvelle-Zélande il y a des écoles qui proposent le kayak-polo comme activité extra scolaire et non le rugby! (Rire) En Nouvelle-Zélande ce n’est pas rare de voir ça. Donc je pense qu’on devrait commencer par ça : s’assurer que les enfants sont au courant que le kayak-polo est un sport et que oui, il y a des joueurs en Australie!
J’imagine que l’autre raison c’est que lorsque vous souhaitez progresser au niveau supérieur, l’équipement revient tout de suite très cher… Il y a aussi le fait que l’Australie est loin de l’Europe et que nous ne pouvons pas participer à autant de compétitions que nous devrions. L’été en Europe il y a des championnats presque tous les week-ends. Une autre raison, évidente j’imagine, c’est que devenir un joueur/joueuse de kayak-polo ce n’est pas facile. Vous devez gérer le bateau et la balle. Pas tout le monde peut faire cela je suppose. Beaucoup de gens ne sont pas à l’aise dans l’eau non plus, ce qui est un point essentiel.

KPI : Pensez-vous que le kayak-polo deviendra une discipline Olympique?
NL : Ce serait super (Rire). Pour le moment le kayak-polo a besoin de s’accroître et d’avoir plus d’adhérents. Nous, on a un peu laissé tomber les sponsors. Nous avons besoin que la Fédération de Canoë s’en occupe pour nous. Ça prend beaucoup de temps et de démarches la recherche de sponsor ! De notre côté nous pouvons organiser des œuvres de charité, ça pourrait aider.
La bonne nouvelle c’est que les Etats-Unis se sont mis au kayak-polo. Ils ne sont pas terribles pour le moment mais ils ont de l’argent ! Dès qu’ils vont s’améliorer et avoir un bon niveau, ils vont trouver des sponsors et faire un maximum de publicité pour notre sport. Ce qui est exactement ce que l’on recherche ! Donc oui, les Jeux Olympiques c’est possible ! (Rire).

KPI : Que pensez-vous de l’équipe féminine française de kayak polo? Les joueuses ont-elles une chance de recevoir une médaille à Thury-Harcourt?
NL : Rapide. Voilà ce qu’elles sont ! Elles sont toujours qualifiées dans le top 5 ou 3. Elles ont aussi une bonne technique. C’est amusant d’ailleurs, maintenant je comprends quelques mots quand nous jouons contre elles, ce qui me permet de deviner un peu ce qu’elles s’apprêtent à faire. Du genre « aller », « aller » qui veut dire « go », « go ». Je sais que dans ce cas là je dois être vigilante. On a cette blague aussi entre nous et l’équipe française. La seule chose qu’on sait toutes à peu près dire correctement c’est « J’aime le fromage ». Aussi dès qu’elles entendent ça elles savent que l’Australie est dans les parages ! (Rire). C’est notre marque de fabrique ! J’avoue que c’est toujours un match très difficile contre la France. Cependant elles ne sont pas les meilleures. Les plus fortes aujourd’hui ce sont les Anglaises et les Allemandes. A Poznan nous avons perdu d’un but contre l’Allemagne. C’était le match le plus dur qu’on ait jamais joué. Nous avons aussi joué contre l’Angleterre mais comme nous étions déjà qualifiées nous n’avons pas trop fait d’efforts. Nous avons perdu évidement ! Je voudrais vraiment avoir l’occasion de rejouer contre les Anglaises. Mais  cette fois-ci mettre tout ce qu’on a dans le ventre et voir le résultat.

KPI : Diriez-vous le kayak-polo a changé votre vie ?
NL : Oui, c’est clair. C’est la première fois que je me dit ”ouah…je suis pas mauvaise”. Cela me permet de rester en forme. Je mange bien et équilibré. J’ai jamais été une grosse fêtarde non plus donc de ce côté là pas de souci. Et puis quand vous exercez un sport à ce niveau, ça vous rend plus fort mentalement. J’ai l’habitude de recevoir des critiques maintenant sans me sentir offensée. Cela m’aide beaucoup dans mon travail et ma vie personnelle… Ce sport me prend beaucoup d’espace sur mon temps libre, c’est presque impossible pour moi de m’engager dans une relation personnelle. Si je rencontre quelqu’un, cette personne devra être vraiment ouverte et compréhensive! La plupart de mes amis font du kayak-polo et sont à Adélaïde. Alors je devine que oui… presque toute ma vie aujourd’hui est dédiée à ce sport. Mais le kayak-polo m’a apporté déjà tellement de bons souvenirs. Je n’ai aucun regret. J’attends de voir où ce sport va me mener dans les prochaines années, peut-être une nouvelle médaille… qui sait?

Propos traduits et recueillis de l’anglais par Isabelle Robert.

Pour plus d’informations sur le kayak-polo dans le Western Australia, contact: Nikky Lee nikky.lee@gmail.com

 

(*1) Voici les résultats de l’équipe  féminine d’Australie en kayak-polo:

2010 : championnat du monde de Milan, 5e place
2011 : Oceanias 1e place
2012 : championnat du monde  de Poznan  3e place
2013 : Oceanias 1e place, championnat du monde de Colombie 5e place

Ce sont les meilleurs résultats obtenus par l’équipe féminine depuis plus de 10 ans !

(*2) En 2014 l’Australie compte 65 joueuses de kayak-polo

(*3) Le canoë kayak rassemble quatre disciplines: la course en ligne (sprint), le slalom, la descente et le kayak-polo. Les trois premières sont les disciplines majeures, la course en ligne et le slalom sont représentées aux JO.

(*4) Voici le prix moyen pour un équipement complet de kayak-polo :

– Bateau $2000
– Pagaies $500
– Casque $50-$100
– Gilet/combinaison $70-$150
– Jupette: $100-$150

 

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